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LE DERNIER COL
28 décembre 2006

10ième étape : Paray-le-Monial – Clamecy - Auxerre. 170 Km Vendredi 16 Septembre 1994

10ième étape : Paray-le-Monial – Clamecy - Auxerre. 170 Km Vendredi 16 Septembre 1994 « Aujourd’hui, mon seul regret est de n’avoir jamais su ce qu’elle est devenue » Une étape qui dès l’aube s’est réveillée sous un ciel couvert, froid et pluvieux. Une pluie matinale constante et furieuse deux jours auparavant, une longue et belle averse à chaque fin de journée, des vêtements humides pour le lendemain, des chaussures mouillées : Telle est donc ma situation en ce matin du 16 Septembre 1994 à 2 jours de l’arrivée ! Le ciel est gris et le plafond nuageux se trouve assez bas. L’accueil qui m’est réservé en ouvrant les volets de ma chambre n’est pas des plus réjouissants. Je retrouve le souvenir de mon départ de Clermont-Ferrand vers le Puy-en-Velay. Je sens comme une mauvaise journée pour qui veut rouler… En quittant l’hôtel, une petite bruine m’accompagne. Mais très vite s’installe une forte pluie qui en définitive ne cessera jamais. Elle se fait violence alors que je me retrouve dans les rues de Paray-Le-Monial indécis à donner une suite à ma journée. Je suis sûr de rejoindre dans ces conditions les 170 Km de reliefs et de plaines qui me séparent de Clamecy. Et en plus mes vêtements n’ont pas entièrement séché ! Il s’agit du deuxième jour le plus mauvais. C’est aussi le deuxième jour où je me contrains donc à devoir prendre le train. Malgré l’absence d’activité ce jour-là, je ressens une certaine fatigue. Elle le fait de rester 6 à 8 heures dehors, sous une météo très contrastée entre le matin et l’après-midi et des étapes aux reliefs accidentés. Elle s’explique aussi par le fait d’avoir arrêté brutalement l’effort une journée complète alors que le corps a été habitué à des efforts constants et vigoureux plusieurs jours de suite. L’effort physique, réalisé dans le froid, s’est donc accompagné de cette fatigue. D’ailleurs, à certains moments, j’éprouve une certaine envie de dormir. Il s’agit de la deuxième étape réalisée en train : la première due au vol de matériel et à la météo, la seconde, encore une fois, due aux intempéries. Mon potentiel physique n’est pourtant pas compromis, mais tout semble l’empêcher de s’exprimer ! Dans l’immédiat de la décision, ce genre de situation offre comme une frustration, un goût quelque peu amer malgré l’obligation certaine de ne pas pouvoir faire autrement. Comme lors de la 3ième journée, une question revient souvent : Me suis-je laissé tenter par la facilité ? Pourquoi ais-je pris le train alors que j’aurais effectivement roulé si celui-ci n’avait pas existé ? Ais-je eut des faiblesses dans cette confrontation avec les conditions naturelles ou celles-ci sont-elles effectivement difficiles sinon lassantes ? J’essaie donc d’analyser ce qui, quelques années auparavant, m’avait conduit à réussir tout engagement sans quasiment une seule aide extérieure, et surtout à essayer de savoir, si auparavant et dans les mêmes lieux et conditions qu’aujourd’hui, j’aurais agi différemment ou de même. Une autre question me vient donc : entre la recherche de l’exploit et le plaisir de faire, le choix et la limite de la témérité et de la sagesse. Écartant un exploit de 170 Km et évitant surtout d’attraper froid en restant 7 heures sous la pluie et le vent, je prends donc le train pour Auxerre via Dijon. Quelques heures de voyage, 2 changements, 3 trains. Quel périple ! La gare étant désertée, je laisse sans crainte mon matériel sur le quai sous la surveillance des cheminots et me rends en ville pour envoyer une carte postale à mon frère et son amie Melissa restés aux Etats-Unis. Au retour, je constate que je ne suis pas seul : un sac à dos et un vtt sont posés. Un autre voyageur déçu par la météo ! Je regarde de plus prés le matériel : nettoyé comme neuf, bardé de sacoches, des gardes bout,un éclairage,des plaques réfléchissantes, une roue libre avec plus de couronnes que mon course. En un mot, mieux présenté que mon matériel décathlon qui depuis Marseille m’avait emmené dans cette gare un peu perdue ! À l’écart, la propriétaire s’est installée sur un banc, comme une fleur posée en plein désert. Ses yeux d’un bleu clair, son joli sourire et ses quelques taches de rousseur apportent sous ses chevaux bruns un peu de gaieté dans cette bourgogne pluvieuse et sinistre. Dieu sait combien de fois j’ai pu traverser cette région de long en large, jamais un seul cycliste de croisé ! Mais là, c’était l’aubaine ! Cette berlinoise résidant à Dijon parcourait donc la Bourgogne, en solitaire depuis plusieurs jours, avec près de 70Km par jour pour mieux en profiter, pour la découverte et le plaisir. Les rapports entre les voyageurs sont totalement différents : les usagers habituels ne se parleront quasiment jamais, même s’ils se voient tous les jours durant 10 ans à l’aller comme au retour. Une sorte d’indifférence s’installe chez les gens. Et je sais de quoi je parle pour avoir pris les transports en commun pendant plus de 15 ans. Alors que dans de telles circonstances hasardeuses de rencontres et de ressemblances, les rapprochements humains sont beaucoup plus aisés entre des voyageurs peu ordinaires. Nous sommes donc restés ensemble jusqu’à ce qu’elle atteigne Dijon pour y descendre définitivement. Dans le train, avant d’engager la conversation, je la voyais rédiger quelques notes sur son carnet de route Moleskine. Ce qui m’a frappé en elle est ce à quel point elle a su rester soignée : des vêtements de rechanges impeccables, des bottines en cuir, un léger maquillage, des boucles d’oreille, des petites bagues, une petite chaînette, une coiffure bien tenue alors que justement évoluer dans des conditions difficiles (météo, géographie,ennui mécanique, situation physique et mentale) peut faire passer outre cet aspect car on se dirige vers des attitudes et des choix beaucoup plus essentiels et non superficiels. A côté d’elle, avec mes chaussures humides qui faisaient comme un « sploutch-sploutch », ma légère barbe du début et mon survêtement, j’aurais pu passer pour un sauvage ! Que ce soit traverser l’archipel du Spitzberg en chien de traîneau, franchir un désert ou gravir des pentes enneigés à 8 000 mètres, la première chose essentielle à laquelle un femme pensera est de conserver une certaine grâce. Je me souviendrais toujours de cette photo d’Annie Beghin prise en train de se maquiller sur les pentes verticales du K2 à plus de 7 500 mètres ! Connaissant en détail les moments critiques d’un périple cycliste, j’ai été impressionné et séduit par son initiative personnelle, son goût pour l’aventure et sa sérénité, malgré les problèmes de toutes sortes posés à une femme, à s’engager seule le long des routes et de villages isolés. Cela impose donc de ne pas en dire trop, de rester sobre. Seulement une certaine complicité entre moi et elle, qui se faisait chambrer par les cheminots surements incapables d’aligner 70 Km mais ne disait rien sauf par un léger sourire, pour une situation,un engagement que l’on était seul à connaître dans cette foule anonyme de voyageurs partis pour travailler et curieux à nous voir. Quelque chose me plaisait en elle et j’éprouvais un certain respect. Aujourd’hui, mon seul regret est de n’avoir jamais su ce qu’elle est devenue.
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