7ième étape : Sault - Crest. 148 Km. Mardi 13 Septembre 1994
C’est une étape moyenne qui se dessine mais une étape difficile.
148 Km d’un mélange chaotique de plats, de côtes, de descentes, de faux plats et de cols, marqués par l’ascension convoitée du mont Ventoux avant une descente douloureuse.
Elle est surtout, à travers le Vaucluse et la Drome, la dernière étape au nord de la Provence, encore digne des sites pittoresques et évoquant des décors à la Marcel Pagnol.
Départ 07h50 Arrivée 15h30
Météo : « vers un sommet invisible »
Je ne fais plus attention aux prévisions annoncées la veille :
Le schéma météo est sans surprise, désespérant et m’accompagne pratiquement de jour en jour avec la même régularité !
Je quitte donc Sault au petit matin dans la brume et sous la pluie.
La couverture nuageuse est très basse : je ne vois pas les pentes du Ventoux grimpant en altitude. Je découvre les reliefs au fur et à mesure sur une distance inférieure à cent mètres
en iso altitude et quelques dizaines à peine en dénivelé.
Le ciel est bouché. Il ne m’offre, au cours de cette ascension vers un sommet invisible, aucune ouverture ni sur les vallées environnantes, ni sur le plateau du Vaucluse.
Ce n’est qu’à partir de 9h30, vers le sommet, que je dépasse enfin la couverture nuageuse.
Plus bas, le vent assez fort commence à dissiper et à morceler la brume.
Cette absence de nuages d’altitude m’offre quand même une bonne visibilité mais pas aussi lointaine que par temps clair.
Le vent et l’air humide installent très vite une sensation de froid.
Je dois porter des gants pour entamer la descente.
La violence du vent m’oblige aussi à abandonner la cape pour le K-way, jugée trop dangereuse car elle peut se soulever.
Cela m’était déjà arrivée dans une descente en pleine ville lors de mon Tour de France !
Le col des Tempêtes porte bien son nom !
À partir de 11h, c’est un temps clair qui m’accompagne jusqu’à la fin de la journée.
Le ciel devient miraculeusement très beau, parsemé de petits nuages.
Le vent est parfois resté très fort localement et l’air devient très chaud.
J’abandonne mon survêtement et mon K-way pour un cuissard court et un T-shirt.
Physique : « une douleur au dos et au fessier de manière occasionnelle »
Ma condition physique, dans l’ensemble, est jugée satisfaisante.
L’étape précédente était plutôt tranquille et j’ai en plus bénéficié d’un très bon sommeil.
Je peux donc, dans ces conditions, me dépenser sinon encaisser les efforts.
Les 4 derniers Km du mont Ventoux ont quand même été éprouvant : il faut dire que cette ascension se termine sur des pourcentages assez élevés.
Dans la descente du col des Tempêtes, jusqu’à Malaucène, mes jambes subissent une gêne à cause du froid intense, une sorte de tétanie dans laquelle le froid les immobilise.
J’ai ressenti une douleur au dos et au fessier de manière occasionnelle :
Elle est provoquée par l’intensité du parcours et son relief dynamique.
C’est la première fois depuis le départ du périple que de telles gênes se font sentir.
Mais elles disparaîtront en cours de journée sans trop m’inquiéter et surtout sans remettre en cause mon aptitude.
Performance : « J’ai bien roulé »
Je suis assez content de moi. J’ai bien roulé et je me suis sorti de situations difficiles.
Ma progression vers le mont Ventoux était assez lente : 1h40 mais avec l’handicap d’une pluie constante, la cape qui limite les manoeuvres de conduite et souvent un vent gênant.
Il faut aussi tenir compte du chargement : le sac à dos et la lourde sacoche de guidon.
Dans la descente du Ventoux, je touche sans peine les 60 Km/h, voir les dépasse.
Sur le reste du parcours, composé d’une multitude de reliefs mélangés les uns aux autres,
ma moyenne se stabilise entre 25 et 27 Km/h et 15 à 18 Km /h dans les cotes.
La route, selon les endroits et mes envies, m’entraînent souvent sur plusieurs kilomètres
à 37 Km/h. Un vrai tapis roulant !
J’ai réussi à tenir mon programme : j’ai atteint tous les endroits voulus dans les délais à quelques minutes près (écart 4 ou 5 Mn) malgré une crevaison m’ayant fait perdre une bonne demi-heure : il faut compter le temps de réparer et celui pris pour le bénéfice d’une pause.
Moral : « Rouler en solitaire ne me lasse pas »
Le passage du mont Ventoux, la traversée réussie de la Drome dans des reliefs chaotiques,
la difficulté et la nécessité de faire face ont conforté mon esprit.
De plus la météo clémente de l’après-midi m’a permis de profiter pleinement du paysage.
On roule aussi pour le plaisir et depuis quelques jours, selon l’expression, « je m’en mets plein les yeux » !
Rouler plusieurs jours de suite en solitaire et dans ces conditions ne me lasse pas, car si je ressens la même sensation que la veille, un esprit libre et détaché, en osmose, je ressens aussi
un esprit fier et vainqueur.
Relief – paysage : « On découvrira les ruines d’anciens villages »
Ce parcours se compose de tous types de reliefs. On attaque du plat, du faux plat, des descentes, des côtes, le tout mélangé, sans répartition définie et précise sur son ensemble.
Un vrai casse-tête pour le stratège de l’effort : on n’a pas le temps de récupérer qu’il faut déjà s’engager à grimper !
Cette caractéristique en fait une étape difficile ou dynamique selon son point de vue car l’effort doit etre constant.
Et c’est ce qui m’a surtout attendu de Malaucène à Montbrison.
Valréas offre cependant un répit car cette petite ville est située en plaine où sont cultivées des vignes.
De Montbrison à Crest via Dieulefit on fera face à un col, un relief accidenté et la traversée de gorges.
La route remonte le cours de la Lez. Ce cours d’eau, qui serpente à travers les montagnes de la Drome, fera longer les montagnes de la Lance et de Dieu-Grâce.
Le deuxième col de la journée, le Pertuis, se laissera prendre après Dieulefit.
On l’atteint après avoir traversée les gorges sauvages du Jabron ou la route peu fréquentée se fait tortueuse sur les 2 derniers Km dans une végétation de pins, d’épineux et de légères senteurs aromatiques.
On découvrira, venant se perdre dans le maquis et les nombreuses combes, des mas habités ou abandonnés, les ruines d’anciens villages, celui de Béconne, ou les vestiges d’un passé médiéval comme le donjon de Blacon isolé et perdu en pleine foret sur la route de Roche-Saint-Secret, le château de Bourdeaux ou d’autres tours et chapelles sans nom, parfois en ruine,
presque oubliés et surplombant la route du sommet des crêtes.
L’arrivée à Bourdeaux, après une belle descente, laissera derrière soi la partie la plus difficile et la plus montagnarde.
L’accès à Crest se fait plus accessible, plus reposant aussi.
Il faut en effet attendre la Drome pour bénéficier de descentes de plusieurs kilomètres.
L’ensemble, par sa formation, son odeur, son isolement et cette floraison de petits villages repliés sur eux-mêmes, en fait la route idéale pour celui qui veut s’évader et rappel en quelque sorte certains écrits paysagers de Marcel Pagnol.
Cette journée est aussi marquée par l’ascension de 2 nouveaux cols :
Le col des tempêtes (1829 m) au 26ième kilomètre en début de journée
Le col du Pertuis (626 m) dans la région de Dieulefit vers la fin de la journée.
La Drome a des petits cols mais il faut quand même aller les chercher !
Cela m’en fait donc 5 au total.
Curiosité : « la route des vins »
La traversée de la Drome fera retenir Valréas, Montbrison, Dieulefit, Bourdeaux et Crest.
Valréas est une ancienne cité médiévale. Dominée par un donjon, la ville s’entoure à certains endroits de vieux remparts servant de promenade.
Comme Valréas, Crest a son histoire de ville forteresse ancrée dans son immense tour.
Dominant la ville sur le flanc d’une colline, ce donjon parfois drapé offre de son sommet un panorama magnifique sur la vallée de la Drome et la profondeur des massifs alentours.
Cette ville touristique, desservie par le train et constituée d’un centre ville animé où fleurissent terrasses ombragées et petites places, peut constituer un point de départ favorable pour une expédition vers le Vercors ou toute la Provence si décision est faite de partir au Nord.
Dieulefit n’est pas la Provence mais on s’y sent déjà tant l’esprit est là : une seule rue, d’étroites ruelles qui s’achèvent en escalier vers de vieilles maisons.
Tous ces villages sont sur la route que l’on nomme « la route des vins »
« Il était une fois le mont Ventoux »
Le mont Ventoux paraît impressionnant car il est dans cette région de plateau, de plaines et de petites montagnes, le seul sommet imposant et dépassant de très haut les autres.
Il se détache très nettement dans le paysage. Rien ici n’est à sa hauteur.
C’est pourquoi il s’en dégage une impression de puissance et cette impression de puissance renforce l’image d’une ascension difficile.
D’ailleurs j’ai toujours pensé que le mont Ventoux était mal situé et devait plutôt avoir sa place au coté de montagnes de même altitude comme celles des Alpes-de-Haute-Provence.
C’est la raison pour laquelle aussi je l’ai surestimé.
La veille au soir, en prenant l’air frais, je me suis rendu sur les remparts de Sault.
Je souhaitais l’apprécier, le deviner, m’en imprégner aussi.
Une impression très personnelle m’effleure : peut-être pour me rassurer, je pense alors à mon cousin Pierre Béghin qui avait gravi le Kangchenjunga en solitaire, le K2, le Makâlû, le Dhaulagiri et bien d’autres sommets Himalayens. J’essayais de deviner ce à quoi il pouvait penser avant une ascension, cette relation intimiste entre le grimpeur et sa montagne.
Ce soir-là, les nuages bas cachaient et dévoilaient furtivement le Ventoux.
Je ne le verrais donc pas. Un interdit, un cache-cache insolent, une défiance.
L’heure sera l’heure et l’heure de la rencontre ne sera que demain. Patience donc !
Pourtant, lors de l’ascension, la surprise est de taille : pensant la réaliser dans un délai identique à celle du Galibier, je mets beaucoup moins de temps que prévu.
Je m’aperçois de ma surestimation et je me surprends à trouver dans l’ensemble une certaine facilité à grimper.
La descente, quant à elle, a été terrible : une route humide, des branches étalées en travers, un froid qui tétanisait mes jambes, un vent violent venant du Nord qui tapait sur les parois et me rabattait sur la façade amont. Il fallait constamment lutter pour garder une trajectoire rectiligne.
La vitesse est élevée : très vite, dès le départ, je dépasse les 45 Km/h puis atteint les 60 Km/h et très vite, dès le départ, je m’aperçois que ma distance de freinage est inexistante pour négocier les virages en toute sécurité. Les câbles de freins sont usés. Trop usés mêmes.
J’ai fait l’erreur de ne pas les changer depuis un certain temps…Je suis obligé de tirer à fond et par à coup presque tout le temps : cela me donne des douleurs dans les poignées et la paume des mains.
Je sens, et durant toute la descente, la tension terrible des câbles avant et arrière.
Une tension telle que je crois qu’à chaque fois ils vont céder.
J’arrive à Malaucène, je ne sais comment.
Mais j’arrive à Malaucène, c’est certain, en pouvant souffler.
« Au risque de me retrouver dehors pour la nuit »
Mon étape devait se terminer à Dieulefit mais cet arrêt a été abandonné puisque Dieulefit a été atteint vers 14h. N’ayant donc pas fini la journée, la météo étant stable, j’ai décidé de continuer jusqu’à Crest pour avancer un maximum et surtout me débarrasser des derniers reliefs de la Drome afin d’entamer le parcours du lendemain sur un terrain plus aisé.
Il n’était pas question de commencer à partir de Dieulefit une étape vers Lyon sous la pluie et dans les reliefs.
À Crest, la priorité est donc de trouver un logement au risque de me retrouver dehors pour la nuit !
Le premier hôtel n’a pas donné satisfaction puisque je me suis accroché avec la patronne :
Je ne trouvais plus la clef de mon anti-vol et souhaitais poliment et en toute logique, que mon matériel soit d’abord sécurisé dans un garage. Prenant de toute évidence et sans discuter la chambre, cela ne devait poser aucun problème. Mais la patronne ne l’a pas entendu de cette oreille et l’a d’ailleurs très mal pris prétextant qu’il fallait d’abord prendre la chambre.
Sous mon instance, elle est devenue très sèche et a lâché, sous un grognement, « dans ce cas pas de garage ». « Si pas de garage, pas de client » lui ais-je répondu.
Je m’en suis retourné la laissant seule, plantée fièrement au milieu de son restaurant avec son sceau et son ballet brosse.
L'hôtel où j'ai logé fut donc Le grand hôtel.
Un Logis de France accueillant et au calme, recommandé par la FFCT,et où l’on mange bien.
Pour preuve, ce soir-là restera l’un des meilleurs repas de ce périple :
à en oublier les bananes et barres chocolatées de la journée, j’ingurgite une salade, une truite, une escalope de dinde aux lentilles, haricots verts et pomme de terre, un plateau de fromage,un flanc et une pêche melba. Rien que ça !